Entretien avec Miguel Ángel de Porras Acuña, codirecteur du FiBL Europe (bureau de Bruxelles), 22/03/2019

Miguel Ángel de Porras Acuña, le codirecteur du FiBL Europe (bureau de Bruxelles), nous donne un aperçu du travail du FiBL, de sa collaboration avec l’UE pour soutenir les pays ACP et nous fait part de son avis sur les récentes conclusions de la Cour des comptes sur le système de contrôle des produits biologiques.

Pouvez-vous nous parler du travail du FiBL ?

Le FiBL (ou Institut de recherche de l’agriculture biologique en allemand) est un institut de recherche indépendant, à but non lucratif, dont l’objectif est de faire évoluer les connaissances scientifiques applicables à l’agriculture biologique et durable. L’institut a été fondé en Suisse en 1973 et compte désormais près de 300 chercheurs répartis dans cinq pays européens. Nos scientifiques travaillent dans un contexte multidisciplinaire, couvrant tous les domaines liés à l’agriculture et aux systèmes alimentaires ; de la science du sol à la sociologie rurale, en passant par l’élevage et l’économie environnementale.

Depuis sa création, le FiBL se concentre sur la recherche interdisciplinaire et travaille avec les agriculteurs et d’autres parties prenantes pour développer les connaissances scientifiques. Le FiBL est ainsi devenu un institut de recherche pionnier et l’un des plus actifs dans le domaine de la sécurité alimentaire et de l’agriculture durable dans le cadre du programme de recherche Horizon 2020 de l’Union européenne.

Nos activités de recherche actuelles portent notamment sur les évaluations de la viabilité des exploitations agricoles, les substituts aux intrants controversés, les systèmes mixtes d’élevage, les approches de consommation des aliments biologiques, les semences biologiques alternatives et l’élevage sélectif des animaux. Le FiBL dispose également d’un département de coopération internationale qui mène de nombreux projets dans les pays à faible revenu, notamment les pays ACP. Les chercheurs ont récemment présenté les résultats de certains de leurs projets phares (SYSCOM et PROECOAFRICA) lors d’un atelier à Bruxelles intitulé « The Contribution of Organic Agriculture to the SDGs » qui était soutenu par la Commission européenne et l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation.

Nous publions également The World of Organic Agriculture, un annuaire statistique de référence qui présente la collecte de données la plus complète sur le secteur de l’agriculture biologique dans 181 pays à travers le monde.

En plus de ses activités de recherche, l’expertise du FiBL lui permet de fournir des conseils et d’autres services en soutien au secteur biologique. L’institut a développé des projets efficaces tels que la liste européenne des intrants, OrganicXseeds et BioC qui visent à aider les différentes parties prenantes du secteur à mieux mettre en œuvre les principes des réglementations européennes sur l’agriculture biologique.

Quelles sont les principales priorités de la production biologique dans l’UE ayant une incidence sur les pays ACP (ou les pays en développement) ?

Avec ses 12,8 millions d’hectares et plus de 300 000 exploitants, l’UE est un leader mondial en matière de production. Le cadre réglementaire européen a toujours servi de référence au niveau mondial et, l’année dernière, l’UE a approuvé le nouveau règlement sur l’agriculture biologique (règlement (UE) 2018/848) qui modifiera considérablement le système des importations biologiques. Dès l’entrée en vigueur du règlement, les importations dans l’UE de produits biologiques en provenance de pays tiers reposeront sur deux modèles : « équivalence » ou « conformité ». Les certificats biologiques des pays considérés « équivalents » dans le cadre de leurs accords commerciaux avec l’UE seront traités de la même manière que ceux distribués dans un pays de l’UE. Pour les pays ne disposant pas de ce type d’accord, le système de « conformité » s’appliquera, ce qui signifie que les règles de production biologique de l’UE s’appliqueront aux produits importés dans l’UE.

L’UE représente plus d’un tiers du marché mondial des produits biologiques et ce changement de règlement aura un effet profond sur les systèmes d’inspection de nombreux pays tiers, ainsi que sur les chaînes d’approvisionnement internationales de produits biologiques. Étant donné qu’il s’agira également d’un changement majeur pour les agriculteurs biologiques des petits pays exportant vers l’UE, une période de transition a été prévue pour donner le temps à ces pays tiers d’intégrer le secteur biologique dans leurs négociations commerciales afin d’en réduire les conséquences.

Ce règlement de l’UE n’est pas le seul à avoir une incidence sur le développement futur du secteur biologique dans les pays ACP. À titre d’exemple, l’application stricte du cadre réglementaire des pesticides aux produits de bioprotection bloque ou retarde souvent les échanges de produits qui peuvent être utilisés pour la production biologique – ce qui peut entraîner des problèmes de production dans les pays ACP. D’autre part, l’UE soutient de nombreux projets qui encouragent le développement de technologies susceptibles de faciliter la transition vers un modèle plus durable dans l’UE ainsi que dans les pays à faible revenu.

Vous êtes le codirecteur du bureau de Bruxelles. Quels sont vos principaux domaines d’action et quels programmes développez-vous avec l’UE ?

FiBL Europe est le nouveau bureau de la famille FiBL. Nous sommes une petite équipe de 5 personnes et travaillons actuellement sur un portefeuille d’activités relativement important : nous coordonnons des projets internes, tels que la liste d’intrants européens susmentionnée et OrganicXseeds ; nous appuyons la coordination de certains projets de recherche de nos scientifiques, principalement Horizon 2020 ; et nous fournissons des services de conseil à différents clients. En outre, nous développons des activités pour faciliter la diffusion des connaissances scientifiques produites par nos chercheurs, ici à Bruxelles, ainsi que dans d’autres pays de l’UE. Nous coopérons très étroitement avec les institutions européennes, principalement la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen, ainsi que les autres institutions présentes à Bruxelles. De plus, notre bureau représente un « guichet unique » pour un large éventail de parties prenantes présentes à Bruxelles et désireuses de s’engager aux côtés de notre institut de recherche chevronné. Notre présence à Bruxelles est essentielle au développement de nos activités. Nous collaborons également avec nos partenaires du secteur biologique, tels que IFOAM EU et TPOrganics, pour soutenir le développement futur des connaissances scientifiques dans le secteur biologique.

En outre, notre département de coopération internationale œuvre pour accroître l’efficacité des recherches du FiBL dans les pays à faible revenu dans le contexte de la coopération internationale à Bruxelles. En ce sens, nous collaborons à plusieurs projets de l’UE et espérons intensifier nos activités de diffusion dans ce domaine spécifique.

Avez-vous un commentaire sur les conclusions de la Cour des comptes ?

La semaine dernière, la Cour des comptes européenne a publié son rapport spécial intitulé « Le système de contrôle des produits biologiques s´est amélioré, mais davantage peut être fait ». Ce rapport fait suite au dernier rapport publié en 2012 par la Cour des comptes sur le secteur biologique et se concentre sur trois domaines principaux : la production au sein de l’UE, les importations et la traçabilité. Dans l’ensemble, les résultats du rapport concernant le système de contrôle biologique sont positifs : une nette amélioration a été observée pour la plupart des questions faisant l’objet d’un suivi par rapport au rapport de 2012, notamment celle relative au contrôle de la production au sein de l’UE.

Les défis qui subsistent concernent principalement la traçabilité et le système d’importation de produits biologiques. En ce qui concerne la traçabilité, nous sommes heureux de constater que la base de données FiBL mentionnée précédemment, BioC, comble déjà certaines des lacunes identifiées par la CCE, en donnant accès aux certificats des exploitants. De cette façon, les importateurs biologiques peuvent accéder aux certifications des fournisseurs en toute transparence. Pour ce qui est des importations de produits biologiques, le système s’est considérablement amélioré, mais des difficultés subsistent en raison de la complexité des chaînes d’approvisionnement internationales et de l’application inégale des lois dans les différents contextes nationaux. Toutefois, le système actuel sera considérablement modifié par le nouveau règlement biologique.

De manière générale, je considère ce rapport comme une étape positive, car les États membres et la Commission européenne relèvent les défis que représente l’amélioration du système de contrôle de l’agriculture biologique. Les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires de l’UE sont complexes, et en particulier les chaînes d’approvisionnement internationales. Nous devons tenir compte du fait que les produits issus de l’agriculture biologique représentent une part croissante, mais encore minime, de la production alimentaire et des échanges commerciaux au sein de l’UE. Le rapport de la CCE indique que les États membres, les organismes d’inspection et toutes les parties prenantes coopèrent de plus en plus, ce qui accroît l’efficacité et l’efficience du système. Malgré cette petite part de marché, nous pouvons dire que les produits biologiques sont les produits alimentaires les plus réglementés de l’UE, de la production jusqu’à la consommation.

 

Références